13.5.12

"Jamais Joseph ni Suzanne n'en chantaient les paroles. Ils en fredonnaient l'air. Pour eux c'etait ce qu'ils avaient entendu de plus beau, de plus éloquent. L'air coulait, doux comme le miel... Lorsque Joseph le faisait jouer, tout devenait plus clair, plus vrai ; la mère qui n'aimait pas ce disque paraissait plus vieille et eux ils entendaient leur jeunesse frapper à leurs tempes comme un oiseau enfermé... c'était l'hymme de l'avenir, des départs, du terme de l'impatience... Il donnait à Joseph l'envie d'une femme de la ville... C'était après avoir dansé avec elle sur cet air-là qu'un soir Agosti l'avait entraînée brusquement hors de la cantine jusqu'au port. Il lui avait dit qu'elle était devenue une belle fille et il l'avait embrassée. "Je ne sais pas pourquoi, tout d'un coup, j'ai eu envie de t'embrasser". | Dimanche

Marguerite Duras, in  Un barrage contre le Pacifíque